Anita Huybens (1949-2008)
Une personne Exceptionelle nous a quittés – De Standaard, 6 septembre 2008
Peter Adriaenssens rend hommage à Anita Huybens que l’on enterre aujourd’hui. Elle a placé toute sa vie sous le signe entre autres de la lutte contre les mines antipersonnel.
Anita Huybens, le nom ne vous dit rien sans doute ? Elle n’est pas une vedette, n’a jamais reçu de titre d’ambassadrice chargée d’une mission de conciliation, ou un quelconque prix pour son engagement. Je ne la connaissais pas non plus jusqu’au jour où elle m’a demandé de collaborer à son projet APOPO. A mon arrivée, j’ai été subjugué par la vue d’un champ de coquelicots en céramique. Faits à la main, des coquelicots roses et rouges. C’est elle qui a imaginé l’idée de réunir des fonds grâce à la vente de nos coquelicots en vue du financement des séances d’entraînement de rats pour le dépistage de mines terrestres. Elle lia la douleur et la tristesse consécutives à la perte d’un être humain par les mines au drame de nos soldats durant la Première Guerre mondiale. Mais aussi à la simple beauté d’une fleur qui accepte sa mission, fût-ce le temps d’un instant, de s’épanouir dans la vie. C’est ce que Anita m’a raconté, désignant de ses mains, en gants de travail, les fleurs du champ. Les séances de chimiothérapie avaient par trop détruit la peau de ses mains, rendant désormais impossible tout contact avec la céramique.
Une femme passionnée par l’image d’un monde où le côté vil de l’être humain ne prévaut pas. Elle avait lié à un projet universel sa propre vie, où perte et amputation ne l’avaient pas épargnée, où elle savait aussi sa fin proche après avoir combattu cancer après cancer. Elle savait quel langage parler pour convaincre les gens que nous avons le devoir de mettre un terme aux atrocités des amputations et pertes en vies humaines dues aux mines terrestres. De nombreux artistes ont prêté entre-temps leur concours. Dans un autre projet, elle a apporté une touche artistique à des chaises qu’elles a vendus pour permettre à des enfants palestiniens d’oublier un tant soit peu la violence grâce à un projet de cirque.
Quel est le prix à payer, le prix d’un coquelicot, demandai-je. Cinquante euros, dit-elle, mais elle ajouta aussitôt, ‘ah, il n’y a pas obligation d’acheter, mais parlez-en à d’autres’. J’en ai été tellement ému que ces mots ont continué à trotter dans ma tête. La grandeur de cette femme, qui a perdu plus d’une bataille dans sa vie, qui a travaillé dur pour recolter des fonds pour autrui, et qui en dépit de tout, vous dit que l’essentiel est ce qui se passe dans la tête. Raconte-le, parles-en à d’autres, afin que cette démence prenne fin. Au plus de gens recevront ce message, au mieux nous serons vaccinés contre toute nouvelle violence. Anita est la preuve que l’engagement n’a rien à voir avec la jeunesse, ce n’est pas l’âge qui compte.
La première page du journal devrait publier une grand photo d’un champ de coquelicots, ses coquelicots, un dernier hommage à une personne foncièrement bonne. Ce serait l’antidote pour ce qui est en train de se produire. Ces derniers mois, les premières pages d’un nombre de plus en plus grand de journaux adoptent le style des journaux à sensation tant vilipendés tel The Sun. le journal sonne l’alarme : ‘1 jeune sur 3 a recours à la violence !’; ‘Quatre enfants assassinés !’ Je ne voudrais pas vivre dans le pays où sont publiés ces journaux. Si j’aime y vivre, c’est pour les personnes comme Anita, celles que l’on cite en petites lettres. Ces nombreuses personnes que nous connaissons tous autour de nous et qui embrassent une cause, petite ou grande, de toute façon une cause ou une personne. Anita était cette voix dans la masse silencieuse, qui s’engageait pour ce que nous appelons si difficilement ‘le sens de la vie’. ‘Parlez-en’, dit-elle. Nous avons tous une voix, mais pas tous ne parlent au nom des autres. Elle n’a pas seulement parler, penser, elle a fait aussi ce qu’elle pensait. Ne s’agit-il pas là de la vraie sagesse?
Anita Huybens est enterrée aujourd’hui. Comme ses coquelicots, elle a accepté d’être ici le temps d’un instant, que ceci ait un sens, de rester suffisamment longtemps que pour faire la différence en faveur des victimes qui n’ont pas de voix. Aidez à poursuivre son oeuvre, mettez un coquelicot dans votre maison, et dites-le à d’autres : fini à tout jamais l’horreur et la violence de la guerre. Merci Anita.